Les tiers-lieux, espaces de création collaboratifs : focus sur les Fablabs

Autrice : Laura Depret

À une époque où les questions sur nos modes de consommation se font de plus en plus nombreuses et où la mode du DIY est de plus en plus populaire, au vu des questions écologiques qui en sont bien souvent l’origine, on voit se développer dans le monde des espaces ouverts de création et de conception collaboratifs pouvant prendre différentes formes. Dans cet article, nous reviendrons à l’origine du développement de ces espaces, appelés également open labs. Nous détaillerons les étiologies des diverses formes qu’ils peuvent prendre pour nous concentrer sur l’une d’entre elles : le Fablab (car elle est la plus répandue et qu’il a bien fallu faire un choix dans toute cette profusion créative). Nous ferons un point sur les valeurs fondamentales de ces tiers-lieux ainsi que sur leur fonctionnement pratique. Cet article a une visée explicative, et a pour but de permettre au plus grand nombre de découvrir ces lieux et les possibilités créatives et en terme de ressources qu’ils offrent.

Histoire des espaces créatifs 

Souvent attribué à Neil Gershenfeld, enseignant au MIT, au début des années 2000, l’origine des espaces créatifs participatifs serait en fait bien antérieure. En effet , la création d’espaces de travail collaboratifs a pu être observée en 1900 en France avec la naissance de « La Ruche »[1], un atelier d’artistes fondé par le sculpteur Alfred Boucher au cœur de Paris. La création de cet atelier avait pour but de permettre à de jeunes artistes démunis de trouver un espace inspirant afin de créer dans un climat favorable. Cet atelier collaboratif existe toujours et est encore très actif aujourd’hui et une cinquantaine d’artistes y travaillent actuellement. Depuis 2017, le lieu a évolué et propose une salle d’exposition. On note aussi qu’avant les Fablabs, il existait en plus de ces ateliers d’artistes, des cafés littéraires, des community centers, qui constituaient déjà des tiers-lieux, soient des lieux intermédiaires entre le domicile et le travail propices au partage.

C’est ensuite effectivement Neil Gershenfeld qui démocratise le concept de Fabrication numérique en 1998 grâce à son cours du MIT « How to make (almost) anything »[2]. Suite au succès de son cours, l’équipe de recherche du projet est invitée à étendre le concept à d’autres sites de la planète. C’est ainsi que le réseau fablab se développe à travers le monde, tant et si bien qu’en 2007, une charte des Fablab [3] est érigée afin d’assurer un respect des valeurs mises en jeu, fondées sur la devise « Learn, Make and Share » (« Apprendre, faire, partager ») dans tous les sites de fabrication numérique. On dénombre actuellement près de 350 Fablabs et makerspaces [4] en France, ce qui la place au deuxième rang mondial, juste après les Etats-Unis. Seuls les Fablab sont reconnus par le MIT mais d’autres espaces de conceptions collaboratifs existent tels que les hackerspaces, les techshops, les makerspaces ainsi que les living labs notamment. Bien qu’ayant une philosophie proche de celle des Fablab, ces lieux diffèrent de par leur organisation, leur domaine d’expertise et leur fonctionnement. Voici les principales caractéristiques et divergences entre ces derniers : [5]

FablabUn Fablab est un espace pourvu en outils numériques et machines à commande numérique, ouvert au public et permettant le partage de connaissances et de compétences
HackerspaceEspaces communautaires ouverts aux passionnés, proche des Fablabs mais plus attachés à l’open source et au détournement technologique. Se rapproche de lieux de vie communautaire. Axé essentiellement sur le domaine informatique.
MakerspaceLieu proche des Fablab mais n’ayant pas signé la charte des Fablabs et n’étant pas reconnu par le MIT. Le partage des réalisations n’est pas au coeur de la philosophie des makerspaces comme il peut l’être pour les Fablabs.
TechshopEntreprise privée qui loue des espaces, des machines et des services à toute personne ayant un projet à réaliser. En France, Leroy Merlin propose un service Techshop.
Living labConcept autant que lieu.  «Laboratoire vivant» permettant à tout type d’acteur·rice·s de suivre une démarche d’open innovation. Démarche centrée sur l’utilisateur·rice et permettant l’innovation avec et pour les acteurs locaux.  «La R&D avec et pour les usagers et les acteurs locaux». Prisés par les collectivités territoriales.
Principales caractéristiques et divergences des principaux tiers-lieux

Une carte des Tiers-lieux est proposé par le site Makery.info [6]. Les Fablabs étant aujourd’hui la forme la plus populaire et la plus médiatisée des open labs, voyons leur fonctionnement en détail.

Fonctionnement des fablabs

Tout d’abord, il faut rappeler que le terme Fablab est la contraction anglaise de Fabrication laboratory. Les Fablabs sont des tiers-lieux qui mettent à disposition de leurs usagers des outils numériques, des machines ainsi qu’un espace de rencontre. La diversité de ces lieux est importante, certains Fablabs se trouvent dans des garages, d’autres dans des universités. Dans tous les cas, les utilisateurs du lieu en sont la pierre angulaire. D’ailleurs qui sont les usagers des Fablabs ? 

Encore une fois, les profils sont très variés, car en soit, un Fablab est un espace communautaire ouvert à tous. Les possibilités offertes par ces espaces sont telles que les raisons d’en passer la porte sont extrêmement diverses. Certain·e·s y cherchent à utiliser les machines, d’autres à acquérir les compétences ou les connaissances nécessaires à la réalisation de leur projet, et d’autres encore souhaitent tout simplement appartenir à une communauté forte et partager. Ainsi, les principaux utilisateurs des Fablabs sont historiquement les artistes. Mais depuis leur création, les offres ont évoluées, tout comme la société et ses besoins, et ces espaces attirent maintenant des étudiants, des chef·fe·s de PME ou TPE, des start-ups  et des particuliers. En plus des professionnel·le·s de petites entreprises, les Fablabs accueillent également des entreprises qui cherchent à innover et à découvrir de nouvelles méthodes de travail.[7]

L’offre que propose ces tiers-lieux est large et ils offrent plusieurs types de ressources reposant sur un socle commun, bien que chaque Fablab ait sa spécialité. On pense bien évidemment en premier lieu aux ressources physiques ou matérielles [8] à disposition que sont les outils numériques et des machines à commande numérique ou CNC. On retrouve parmi elles les découpeuses laser, les imprimantes 3D, les fraiseuses, les découpeuses vinyle, les logiciels ainsi que l’outillage.

Figure 1 Schéma d’une imprimante 3D
Figure 2 Photo d’une découpe laser 5

Viennent ensuite les ressources immatérielles, qui constituent la clé de voûte de chaque lieu et qui en font la richesse. On compte parmi elles les connaissances partagées par la communauté, les expériences de chaque membre, le réseau du lieu, sa notoriété, l’offre d’éducation et de formation proposée ainsi que la culture et les valeurs propres au lieu. Étant donné que chaque Fablab possède et propose des ressources matérielles différentes, le partage entre Fablabs est primordial et particulièrement enrichissant. 

L’une des valeurs fondatrices de ces tiers-lieux réside dans l’une des ressources immatérielles offerte : le partage des savoirs, rendu possible par les logiciels open-source utilisés. Mais toute cette philosophie ne s’arrête pas aux portes d’un Fablab. Il est possible de partager des connaissances entre tous les lieux, de partager des plans de conception à travers la planète. Ainsi un objet conceptualisé et conçu en France peut être répliqué rapidement en Australie, ou en Indonésie par exemple. 

Et enfin, le prochain type de ressources d’un Fablab abordé ici, et pas des moindres puisque sans eux·elles, le lieu ne pourrait pas subsister, parlons bien sûr des ressources humaines que sont le personnel !

Le métier le plus représentatif du Fablab est son·sa Fabmanager·euse [9], puisque quelle que soit la taille du Fablab, un·e Fabmanager·euse y est présent·e.  Alors quel est son rôle ? Il·elle coordonne le lab, en assurant la gestion du lieu (financière, humaine, …), en animant la communauté et en accompagnant les visiteurs dans leur découverte. Il·elle assure aussi la communication et la gestion de la maintenance du matériel. Il·elle est donc le pilier du lieu. Il·elle peut cependant être épaulé·e par une équipe, notamment dans les Fablabs donc la taille est plus conséquente. Parmi les autres métiers dont peuvent possiblement disposer ces espaces, on trouve les facilitateur·trice·s, les concierges et les forgeur·se·s numériques [10]. Il faut noter que, comme dans le reste du monde du travail, la parité dans les Fablabs n’est pas assurée. On y compte en effet en France en 2017, 75,5% de travailleurs contre 24,5% de travailleuses [10]

Le dernier aspect des Fablabs à prendre en considération afin d’avoir une vue d’ensemble de leur fonctionnement est la somme des ressources économiques et financières permettant d’apprécier leur pérennité. 

Avant toute chose, ces lieux ont un besoin d’investissement à leur création, constituant leur besoin de départ. Ce financement peut prendre plusieurs formes : 

  • Le financement public, correspondant aux demandes de subventions aux institutions (État, région, département ou ville), 
  • Le financement privée, via l’emprunt aux banques, le crowdfunding ou la donation privée
  • Enfin, il est possible de combiner ces deux financements afin de bénéficier de leurs avantages tout en limitant les possibles retombées négatives de chacune des formes (exemple : dépendance aux banques ou à une entreprise privée, ou possible baisse des subventions publiques)

Les gérants d’un fablab doivent ensuite faire face à diverses sources de dépenses, fixes et variables. On note parmi elles le loyer, les salaires, les cotisations sociales, l’entretien, l’investissement en matériel, les charges ainsi que les consommables. 

Plusieurs modèles économiques sont envisageables afin de générer des revenus [8], [11] :

  • La location d’espace aux professionnels
  • La contribution des membres via une adhésion sous forme d’abonnement mensuel ou annuel par exemple. Le Fablab peut alors proposer des formules adaptées à différents profils d’utilisateurs
  • Le paiement de l’utilisation des machines à l’heure ou au forfait. Ce système de location permet d’optimiser l’usage des appareils en limitant leur temps d’utilisation 
  • La vente de prestations (conférence, formation, privatisation, accompagnement)
  • Le sponsoring ou le mécénat d’entreprise
  • La création de partenariats avec les entreprises de proximité afin de dynamiser l’économie locale

En conclusion de cette partie, on note que les ressources proposées par ces nouveaux espaces sont diversifiées mais cependant coûteuses. Elles nécessitent donc un modèle économique fort, basé sur des investissements pouvant entraver la liberté du lieu, ainsi que des revenus constants et relativement importants. 

Conclusion

Les ressources offertes par les Fablabs sont conséquentes et variées, et permettent à des utilisateurs de différents profils et ayant différents besoins de s’y retrouver, d’échanger, d’ouvrir leur champ des possibles. Leur nombre a explosé ces dernières années, et l’intérêt pour ces lieux se fait de plus en plus sentir, au fur et à mesure que la société change et que le grand public se rend compte de sa capacité à agir pour un monde plus désirable. Mais est ce que les tiers-lieux sont une solution à apporter pour un avenir plus souhaitable ? Est ce que la philosophie empreinte dans ces lieux est transposable à plus grande échelle sur notre société ? Ces lieux sont-ils tout simplement le reflet des réflexions, des espoirs d’une partie de la société ? Enfin, le problème se pose de leur pérennité et de leur viabilité économique. Ces questions peuvent être formulées au vu de l’importance que prend le mouvement des open labs dans le monde. Le sujet du contexte de cette expansion fulgurante est également pertinent. Des éléments de réponse seront abordés dans un prochain article dédié.

Notes de fin d’articles

1DIY Do It Yourself
2MIT Massachussetts Institute of Technology
3CNC Computer Numerical Control
4https://pixabay.com/fr/vectors/imprimante-imprimante-3d-mod%C3%A8le-3d-1248284/
5https://pixabay.com/fr/photos/laser-coupe-machine-plasma-sparks-2819141
6Crowdfunding : financement participatif [12]

Références

[1] Site officiel de la fondation La Ruche – Cité d’artistes https://laruche-artistes.fr/

[2] Romain Gonzalez, Neil Gershenfeld : « L’évolution n’a rien d’un processus hasardeux », Le point, 2019, disponible sur https://www.lepoint.fr/futurapolis/neil-gershenfeld-l-evolution-n-a-rien-d-un-processus-hasardeux-03-03-2019-2297668_427.php

[3] The fab charter, 20 octobre 2012, disponible sur http://fab.cba.mit.edu/about/charter/ 

[4] Marine Protais, Les Fablabs, une excellence française, Usine nouvelle, 2018, disponible sur https://www.usinenouvelle.com/article/les-fablabs-une-excellence-francaise.N754874 

[5] Valérie Mérindol, Nadège Bouquin, David W. Versailles et. al., Le Livre Blanc des Open Labs : Quelles pratiques ? Quels changements en France ?, FutuRIS, la chaire newPIC de Paris School of Business, 2016, chapitre 4 B De nouveaux dispositifs pour répondre à ces évolutions, p17-25, disponible sur http://www.newpic.fr/wbopenlabs/anrt-newpic-livreblancopenlabs-hd.pdf

[6] Carte des Tiers-lieux référencés disponible sur https://www.makery.info/labs-map/

[7] Cours « S’initier à la fabrication numérique », ch 1.3 Les usagers des Fablab, Guillaume Attal, 2019
Fun-mooc.fr

[8] Movilab, Modèle économique d’un Fablab, disponible sur https://movilab.org/index.php?title=Mod%C3%A8le_%C3%A9conomique_d%27un_FabLab#La_dimension_r.C3.A9elle_du_mod.C3.A8le_.C3.A9conomique

[9] Fiche métier Fabmanager disponible sur https://www.cidj.com/metiers/fabmanager 

[10] Carinne Claude, Enquête Makery, les nouveaux métiers des Fablabs, 2017, disponible sur http://www.makery.info/2017/04/04/enquete-makery-les-nouveaux-metiers-des-fablab/

[11] Cours « S’initier à la fabrication numérique », ch 4.5 Monter son Lab,Lola Laurent, 2019
Fun-mooc.fr

[12] Définition du Crowdfunding , entreprenariat, Le financement participatif ou crowdfunding, disponible sur  https://www.entreprises.gouv.fr/politique-et-enjeux/financement-participatif-ou-crowdfunding