Autrice: Lyraxi
Parce que parfois les mots résonnent chez d’autres et peuvent les aider dans leur cheminement, voici ceux écrits à la sortie de l’école, sur le seuil de la vie active. Ils sont les témoins d’un ressenti personnel et s’intègrent dans la réflexion du Livre d’Ingénieur·e·s Engagé·e·s.
La fin des études marque l’heure d’un nouveau début. « Une fois ton diplôme en poche »… ces petits mots avaient élu domicile, là, juste à côté, année après année. Du temps a suivi l’apprentissage des formes et des couleurs, celui dont on attendait sagement l’écoulement, assis à écouter … et à gratter (… ou pas). La porte de l’école franchie, les semestres validés, les devoirs remis, la soutenance réalisée, cette condition est finalement remplie. Le petit bout de papier est là, fruit du travail des vingt dernières années, des seules que l’on se connaît. Exaltation, enthousiasme, euphorie, toutes ces émotions en E- ont oublié le rendez-vous qui marque la fin de la vie étudiante. La transition s’est faite en zone grise avec détachement, comme endormie. J’imagine que le cœur s’est perdu en chemin. Rendue au croisement, il faut l’attendre.
À regarder le chemin d’où l’on vient, une fine brume de fierté et de satisfaction se lève doucement. Un sourire de contentement se dessine au souvenir des paysages explorés. Il se pourrait que les voyages qui en valent la peine soient rarement aisés. « Être heureux n’est pas nécessairement confortable », le titre d’un livre entr’aperçu se rappelle à l’esprit. Mais l’accomplissement attendra car pour l’heure s’arrêter, se rassembler est nécessaire. Le sourire s’attarde au coin des lèvres avec la conscience de sa chance. Cette chance-là tient plus de la reconnaissance que de la joie que procure un simple hasard. S’y infuse la gratitude à la saveur douce-amère de la dette accordée. Une créance sociétale se tapit sous les semelles.
Le chemin qui fait face est la prochaine carte de la suite logique. Il appelle les pas en ligne droite pour-suivre des jalons bien connus. Rassurant, conforme, large et dominant le champs de vision. La rectilinéité des bordures est troublante, presque suspecte. L’énergie pour s’engager dans cette voie infinissable se raréfie, presque tarie. L’esprit en questionnement, qui ne s’est jamais vraiment arrêté, s’agite de nouveau et le choc de la dissonance cognitive lève la poussière sur la ligne facile à suivre.
Après ces kilomètres en conduite supervisée, le désir de roue-libre se manifeste. Il y a un vide de l’envie. Pour revenir à la vie, le cortège des mots avec leur préfixe privatif à l’établi doit s’inviter : incertain • inconnu • indécis • indéfini • indéterminé • indistinct • imprévu… Si longtemps écartés, relégués et ignorés pour parvenir à sa fin, ils sont désormais libres d’ouvrir la voie pour 2020, l’année qui arrive. Un an de ressources temporelles et financières leur est accordé. Mais où diriger le premier pas ?
Voilà que le regard balaye de part et d’autre de la route, scrutant les lisières pour y déceler des pistes oubliées. Il revient pourtant vite à la voie ouverte ; peur de la perdre et de se perdre en s’engageant hors des sentiers battus. N’importe quelle bifurcation s’accompagne de son anxiété, même pour les êtres aguerris je suppose. Au loin, à travers, quelque chose s’agite et fait signe, il se pourrait bien que ce soit l’envie. Elle pense avoir trouvé un passage et l’indique. Pendant quelques temps encore la tête oscille, du chemin dégagé à la lisière, mais s’attarde sur la dernière. La tergiversation prend alors fin, ce sera la lisière. Le corps se dresse pour y faire face.
Le temps s’écoule délicatement et charrie avec lui le soulagement et l’apaisement de la décision prise. Chaque seconde conforte le projet naissant. Tous les voyants passent au vert et déjà une vigueur se ranime prête à abattre la carte déviante. À cet instant, l’encre de la vie tracée précipite, le moment est venu de changer la plume. Un instant bien balisé de votre vie s’achève. Mais il n’est pas encore l’heure de se déposer en une nouvelle couche prédéfinie sur le papier du Curriculum Vitae. Félicitation, vous venez de signer pour une Bifurcation à Durée Indéterminée*.
*La “BDI” en question est la réalisation d’une année de wwoofing en France. Le wwoofing est une activité reposant sur l’échange, i.e. quelques heures de travail sont effectuées en contrepartie du gîte et du couvert. En essence, l’esprit du wwoofing est un partage des savoir-faire et techniques pour des modes de vie durables dans le respect de valeurs humaines. La suite de l’expérience de l’autrice peut être suivie sur son blog personnel d’où cet article a été extrait et adapté.
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