Mais franchement, pourquoi un écosyndicat ?

Se posant des questions quant à la pertinence présumée d’un “éco”syndicat, qui est un souhait de l’organisation « Pour Un Printemps Écologique », nous avons réfléchi à ce sujet entre membres du monde associatif du milieu ingénieur pour en fournir une critique.

Si nous n’avions qu’une seule question ce serait celle-ci : Quel intérêt y a-t-il à mettre en opposition les syndicats existants avec une nouvelle entité qui se permet de s’accaparer « la défense des intérêts environnementaux » (tel cité dans leur Manifeste) ? Mettre sous plus forte pression les corps intermédiaires, qui aujourd’hui affrontent en première ligne les décisions antisociales de l’idéologie libérale au pouvoir, est un non sens !

Les syndicats se trouvent déjà en difficulté pour protéger les plus précaires qui vivent de plein fouet les dégradations environnementales ! Dans notre situation, le rôle social des syndicats ne peut même pas être accompli, faute d’un capitalisme maladif qui considère tous les êtres, dont les humains, tels des ressources. Pourquoi générer ex-nihilo une organisation qui les invisibilisera plus encore auprès des organes de décision des entreprises ?

Afin de contextualiser, notons que ce projet est porté par un ex-membre du Think-Tank “Spintank”, mettant le numérique au coeur de ses réflexions. Il faut également soulever que le nom de cette association rappelle le collectif ayant publié le Manifeste étudiant pour un réveil écologique.

Pour l’instant, nous pouvons observer la présence de personnalités de « La Bascule » et de « Together For Earth » au coeur de ce projet, et ce sont surtout des jeunes sorti·e·s des grandes écoles qui suivent de près son développement. Que penser de cet hydre et quel genre de mutation sommes nous en train d’observer ?

Il est aisé de comprendre de quoi il s’agit finalement en s’intéressant aux collectifs cités précédemment qui tournent autour de la création cet « éco”syndicat. Ainsi, quelles actions peuvent mener des individus issus des milieux privilégiés ? La réponse est décrite sur leur site : des négociations autours des accords d’entreprise, l’investissement d’élections professionnelles, etc… Rien de plus que ce que font déjà les syndicats existants alors ?

Si, évidement ! À l’image du collectif « Pour Un Réveil Écologique », qui a appelé sur LinkedIn ses sympathisants à déclarer leur servitude volontaire auprès des entreprises faisant le premier pas escroc-logique. Quelques cadres s’intéressant au sens dans leur travail cherchent à se dédouaner de leur participation à l’appareil économique. Ils veulent rendre les activités des entreprises écologiquement et socialement acceptables, ce par le travail de cet “éco”syndicat. Appliquer seulement une couche de peinture verte sur les murs semble être une mission toute indiquée pour ce nouveau type de syndicat hors du commun.

Ceci est une réponse logique pour un milieu trop peu politisé et en manque de contact avec les autres strates sociales. Ainsi les questionnements autour de la “protection de l’environnement” leur paraissent être de leur seul ressort. Étant issus des filières d’excellences de l’enseignement supérieur, ils et elles connaissent “la” réponse adapté, fût-elle l’encontre des structures syndicales existantes.

Le timing constitue en lui-même une provocation. Les syndicats sont en grève partielle ou reconduite depuis deux mois, ils se mobilisent pour arracher une victoire du camp social en perdant du salaire chaque jour. Dans un moment où la logique voudrait une posture de solidarité et de convergence des luttes face à un gouvernement sourd, cet “éco”syndicat a choisi de tracer sa voix à part. La fleur au fusil les “écolos” embourgeoisés viennent ainsi expliquer qu’en réalité la vraie question est environnementale. Ce mépris de classe à peine dissimulé et cette ignorance de toute stratégie de lutte politique a de quoi laisser perplexe.

Nous croyons à l’archipel des luttes et ne critiquons pas pour le simple plaisir de juger les engagements d’autrui. Si nous nous exprimons aujourd’hui, c’est que nous pensons que tout ne peut pas être cautionné sous prétexte de bonnes intentions. L’idée d’arracher la lutte écologique des luttes sociales est dangereuse à court comme à long terme. A court terme, elle accentue le mépris de classe et affaiblit les syndicats existants. A long terme, elle diminue nos chances de s’emparer collectivement de notre avenir, afin de garantir la résilience des sociétés humaines. La lutte écologique sans connexion avec la lutte sociale n’est que poudre aux yeux, nous nous opposons contre toute initiative qui proposerait la première telle la seule à être légitime. 

Il n’est pas dans notre intention de nous positionner contre la quête de sens parmi les CSP+. Cependant nous lèverons toujours notre voix contre les réponses à cette perte de sens qui perpétuent un système de domination, aliènent nos existences et menacent la lutte écologique. C’est pour nous une condition minimale au dépassement du capitalisme.

Le groupe thématique politique d’Ingénieurs Engagés – qui réfléchit et mène un travail pour politiser le milieu ingénieur au sein du mouvement Ingénieurs Engagés (les opinions exprimées ici n’engagent que ce groupe, et non le mouvement dans son ensemble).

  1. Printemps Ecologique, https://printemps-ecologique.fr [site consulté le 9 Février 2020].
  2.  Printemps Ecologique, Le Manifeste, https://printemps-ecologique.fr/manifeste [site consulté le 9 Février 2020].
  3.  Description du compte Twitter de Maxime Blondeau “Enseignant, Cofondateur @ecosyndicat, Anthropologie @SciencesPo, ex @hetic @spintank 🔥 💧 🌳”, https://twitter.com/BlondeauMaxim [consulté le 9 Février 2020].
  4.  Pour un réveil écologique, Lancer mon appel pour un réveil écologique, “J’appelle mes futurs employeurs à devenir acteurs d’une transition écologique ambitieuse” https://appel.pour-un-reveil-ecologique.org/fr/#app [site consulté le 9 Février 2020]. 
  5. Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire. Cette incitation à quémander au monde de l’Entreprise Capitaliste son verdissement, afin que le travail pour ces organisations puisse être perçu comme suffisamment éthique pour avoir soi-même bonne conscience et ainsi faire perdurer le statu quo, tend à rappeler l’idée directrice de ce texte.