Enfant, je rêvais de devenir professeure des écoles, d’aussi loin que remonte mon premier souvenir de réflexion sur le sujet. Institutrice, maîtresse d’école, étaient plutôt les mots que j’avais en tête à l’âge où je pensais avoir trouvé ma vocation. Faute ou grâce à ma professeure de CM2, que j’admirais particulièrement. Elle était à l’écoute et se faisait aimer de tous les élèves, même des plus réticents. Je la voyais donner envie d’apprendre à des camarades qui n’avaient pas l’habitude de passer les grilles de l’école avec enthousiasme. C’était décidé, moi aussi je changerai la vie d’enfants dont la vie était difficile plus tard, je leur donnerai le goût d’apprendre, les cartes pour s’en sortir, je serai l’institutrice la plus compréhensive et motivante qui soit. Ça, c’était jusqu’en classe de 4ème, année où on assiste à notre premier cours de physique-chimie. C’est vrai que la matière me fascinait, comprendre les choses autour de moi, comment tout tenait ensemble, me semblait primordial. Mais ça n’avait pas entamé ma résolution, dans ce cas je ferai découvrir le monde à d’autres enfants, plus tard, je leur montrerai à quel point il y a à apprendre sur le monde qui nous entoure en étant professeure. Ma vocation restait inchangée.
La première fissure dans mon plan parfait est apparue en classe de 3ème, lorsque ma professeure de physique-chimie, enthousiasmée par mes bons résultats m’a fait part de ses projets pour moi. Plus tard, je travaillerai au CERN, je serai ingénieure ou même chercheuse ! J’étais fière qu’on puisse avoir des attentes aussi fortes pour moi, et je ne voulais surtout pas décevoir cette enseignante que j’appréciais beaucoup. Mon professeur de mathématiques a joué son rôle également, j’étais en avance sur la classe en ce qui concernait les exercices et il me donnait de petits défis à résoudre pour me faire patienter et me préparer à la suite. Parce que pour lui, je devais partir en classe scientifique, c’était une évidence. Ça l’était pour moi aussi et ça l’était pour l’équipe éducative et ma famille. Alors quand est arrivé le moment des choix d’options pour la classe de seconde, j’ai bien évidemment choisi de partir en « mesures physiques et informatiques » pour pouvoir suivre la voie royale qui menait à l’obtention du bac S. J’ai détesté cette matière, mais il fallait s’accrocher, je devais rentrer au CERN !
Il faut savoir que j’ai toujours adoré la littérature, ma mère est une littéraire pure souche tandis que mon père est plutôt technique et scientifique. Entre les deux, mon cœur a toujours balancé. C’est pourquoi malgré tout, avant mon entrée en 1ère, j’ai beaucoup hésité entre la classe littéraire ou la classe scientifique. Et c’est là que la machine à mouler a commencé son œuvre. On me disait que les études scientifiques permettaient de faire de hautes études et de trouver du travail par la suite, de faire « à peu près tout ce qu’on voulait si on y mettait du sien », c’était un bagage indispensable pour réussir dans la vie. Car bien sûr les études littéraires ne donnaient que des chômeurs·euses et des désillusions. J’ai donc choisi de suivre un bac S. Arrivée en terminale, il fallait choisir son orientation et encore une fois, l’hésitation était bien là. J’avais des rêves de journalisme, mon côté littéraire reprenait le dessus ! Je voulais écrire, je voulais aider les gens, transmettre un message, donner la parole aux plus démuni·es et tant pis pour les sciences, que j’aimais beaucoup toutefois et qui me passionnaient. Mais encore une fois, je me suis heurtée au mur de la raison, de la conseillère d’orientation, de l’équipe pédagogique qui me voyait faire une classe préparatoire. J’étais une bonne élève et les bon·nes élèves font des études scientifiques, en passant par la voie royale qu’est la classe préparatoire bien évidemment ! C’est vrai qu’il était bien plus raisonnable de suivre le chemin tout tracé vers les études d’ingénieure, et puis « je pouvais toujours continuer en recherche si je le souhaitais et si l’ingénierie ne me convenait pas ». C’est ainsi que je me suis retrouvée embarquée dans une prépa intégrée spécialisée en chimie dans laquelle je ne me sentais absolument pas à ma place. Et ce qui devait arriver arriva, je me suis sentie mal pendant un an, et j’ai fini par quitter la classe préparatoire. Encore une fois à un tournant décisif ! Je pouvais reprendre des études en Fac de lettres, je pouvais faire un DUT dans l’édition et me rapprocher de mon autre domaine de prédilection !
Mais il était trop tard pour ça, je voyais chimie verte, je me voyais trouver une solution miracle aux problèmes environnementaux dont on commençait à entendre parler. Comment me réfugier dans la littérature alors que tout brûlait autour de moi et que selon mon entourage, j’avais la capacité de devenir ingénieure ? Et qu’un·e ingénieur·e est bien connu·e pour trouver des solutions à des problèmes insolubles, pour changer les choses de façon radicale. À force d’entendre tout le monde parler de cette façon et me pousser dans cette voie, j’ai commencé à croire moi aussi que c’était maintenant mon devoir de devenir ingénieure. Et me voilà préparant un DUT chimie pour ensuite intégrer une prestigieuse école de chimie ! Ces années en école n’ont pas été de tout repos pour mon pauvre cerveau et la conscience fournie avec. Je nous voyais tous là, anciens bon·nes élèves de lycée, sans savoir ce qui nous attendait à part le Graal du diplôme généraliste d’ingénieur·e. Et en sortant de là, pour beaucoup on se demandait encore ce qu’était réellement un·e ingénieur·e, quel était son rôle dans la société, essayant de définir ce métier fourre-tout dans lequel on nous avait tous gentiment poussé.
Et finalement devant vous, après toutes ces pérégrinations, ayant fini mes études d’ingénieure chimiste, me posant toujours beaucoup de questions sur mon avenir dans le métier d’ingénieure et… ayant fait le choix d’aborder ma carrière en tant que professeure évidemment… travail que je vois plutôt maintenant comme ce qu’on appelle un travail alimentaire, en attendant d’ouvrir mon entreprise dans l’économie sociale et solidaire. Et rédigeant cet article, comme une revanche peut-être…
En tant que bonne élève, dès le collège, on est poussée par l’équipe pédagogique vers la voie royale, puis par la famille qui espère un avenir serein pour nous. Qu’on vienne d’une famille où le métier d’ingénieur est méconnu et fantasmé comme permettant d’accéder à un statut social prestigieux et à une sécurité financière, ou au contraire d’une famille dont un membre est cadre et qui nous pousse à la reproduction sociale, le résultat est identique. On a beau tenter de s’émanciper de la pression sociale, être conscient·e·s qu’elle existe, on est bien souvent forgé·e·s par elle et par les gens qu’on rencontre et les attentes que ces gens ont de nous. Ces gens eux-mêmes représentant la société qui les a modelés.
Laura Depret