CLSI – Le service civique : une bulle d’air pour trouver du sens

Récit de deux expériences

Entretien avec :
Adélaïde Levavasseur, volontaire en service civique à la Chambre d’agriculture du Calvados
Florent Husson, volontaire en service civique au Campus de la Transition

“Prendre plusieurs mois pour découvrir quelque chose de différent, c’est un chemin de vie. Ça permet de faire un break avec la théorie, creuser sa curiosité, se reconnecter à la terre ou à des activités manuelles. C’est vraiment intéressant, personnellement et professionnellement.”

Prendre du recul et gagner du temps

NB : Bonjour Florent, Adélaïde, est-ce que vous pouvez commencer par me parler de votre parcours ?

FH : Pour ma part, c’est un parcours de formation d’ingénieur en conception mécanique. J’ai travaillé un an dans l’hydraulique industrielle, en laboratoire de recherche technologique, différente de la recherche fondamentale, et puis un an et demi en bureau d’études conception. C’était vraiment un bureau d’études externalisé pour des entreprises qui sous-traitent le travail. Il y avait des projets de quelques mois dans le spatial, quelques mois dans le ferroviaire… On changeait de clients régulièrement. J’ai été absolument passionné par ce que j’ai fait dans mes études et dans mon travail, mais j’ai commencé à développer une dissonance cognitive énorme par rapport aux enjeux de transition. Ça a surtout été le cas quand j’ai été amené à travailler pour la fusée Ariane. Au vu des urgences écologiques, je trouve que le secteur du spatial devient extrêmement peu prioritaire, et pourtant beaucoup de ressources (argent, temps, matériaux) y sont mobilisées, avec comme objectif toujours plus de croissance (objectif pour Ariane 6 : un lancement par mois). Juste après ça, j’ai eu une mauvaise expérience professionnelle, en tant que consultant pour le nucléaire. Ce n’était pas par rapport au secteur nucléaire en lui-même (c’est un sujet très complexe, sur lequel je n’ai pas de vision tranchée, mais qui ne présente pas selon moi de non-sens écologique absolu). Dans mon cas, il s’agissait vraiment du contenu et de la forme que prenait ma mission qui était insupportable. J’ai fait de l’ingénierie administrative : j’étais “ingénieur paperasse”, avec aucune intégration de l’individu dans le projet, la grande machine qui tourne, du papier au kilomètre… On ne peut pas tout à fait parler de “bullshit job” car le travail en lui-même avait un réel intérêt au niveau de la sécurité dans la conception des centrales nucléaires (relecture de documents, vérification des données et des calculs, etc.). Le problème était que je ne me sentais pas impliqué dans le projet, je vérifiais des calculs sur des robinets dont je ne connaissais même pas le rôle ni la localisation. C’était peu intéressant et pas directement lié aux enjeux de la transition. J’ai fait des petits burnout à répétition, et ça a enclenché pour moi des réflexions profondes. Je suis parti en césure, et j’ai trouvé un service civique quelques mois après. Cette phase où j’ai démissionné et où je me suis ouvert à ce qui existait m’a permis de prendre du recul, et j’ai trouvé une mission très en lien avec les enjeux de la transition. Dans un service civique, on s’y retrouve plus facilement en termes de valeurs quand on a le bon âge[1]. Mon implication dans Ingénieur·es Engagé·es et la SALT[2] m’a permis de créer et améliorer cette expérience de service civique ; aujourd’hui, l’organisation de la SALT rentre dans mes activités de service civique, ce qui est assez merveilleux !

AL : J’ai un parcours encore moins typiquement ingénieure. Initialement, je voulais être vétérinaire, et c’est en classe préparatoire BCPST[3] que j’ai découvert le métier d’ingénieur. J’ai découvert également qu’il y avait plein d’enjeux forts en agriculture, notamment grâce à mon professeur de statistiques de l’époque, qui découvrait tous ces enjeux et scandales et les partageait avec nous. Quand j’ai entendu que l’épandage de glyphosate en Argentine pouvait se faire par avion directement sur des gens, j’ai compris que les humains étaient aussi victimes. Ça m’avait touchée, et finalement j’avoue avoir été presque soulagée de ne pas intégrer véto. J’avais, sans l’admettre au début, plutôt envie d’être ingénieure agronome, car je me suis dit qu’il y avait beaucoup de choses à faire pour modifier un système injuste et pas durable, qui exploite les animaux et l’environnement mais aussi les êtres humains. 

Je suis donc arrivée à l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries agroalimentaires (ENSAIA) à Nancy, dont j’ai été diplômée il y a quelques mois. Mes études m’ont passionnée à tous les points de vue, tant la microbiologie que la génétique, les paysages, les politiques publiques,… Mais ce qui m’a le plus intéressée, c’était les réflexions sur les enjeux politiques, sur la transition agricole, sociale, environnementale et politique, sur l’impact des groupes d’intérêt et du lobbying, sur l’histoire de l’agriculture, et tous les liens humains-territoires.

Je me posais beaucoup de questions sur le facteur humain dans ces transitions. On a plein de solutions techniques pour produire de manière plus durable, plus verte, dont certaines relèvent d’ailleurs du greenwashing plus que de pratiques et conséquences concrètes. J’ai l’impression que les freins sont parfois plus humains que techniques, voire de l’ordre des croyances, y compris en ce qui concerne les pratiques alimentaires, ou encore qu’ils découlent du lien de l’identité au territoire, de freins géopolitiques, ou des contraintes posées par un paradigme de développement et un système de marché mondial qui adopte une définition particulière de la croissance. 

Tout cela m’intéressait, je me demandais pourquoi ça ne fonctionnait pas au niveau humain, et j’ai compris qu’il allait falloir que j’approfondisse ma formation. J’ai fait un programme d’étude international, avec un double diplôme au Québec. J’ai fait une maîtrise de développement territorial (interventions régionales) mobilisant différentes disciplines des sciences sociales, et j’ai finalement un peu laissé de côté l’agriculture ces dernières années. 

En rentrant, je me suis retrouvée un peu bloquée, pour des raisons de santé, financières et personnelles. Je me suis aperçue qu’en sortie d’école d’ingénieurs c’était un peu difficile de postuler si on n’est pas spécialisé : je ne trouvais pas de poste qui me semblait correspondre à mon profil. J’ai choisi un service civique pour avoir une (très) petite stabilité financière, et une mission avec moins de responsabilités et de charge mentale, le temps de construire un projet professionnel. Je ne voulais pas arriver en entreprise et être forcée à faire quelque chose en quoi je ne me serais pas reconnue, je voyais ce risque-là. Le service civique me permet de voir l’intérieur d’une structure comme la Chambre d’Agriculture, comment ça fonctionne concrètement, et le boulot qu’y font les ingénieurs. Ça me permet aussi de gagner du temps, mais je ne vais pas m’arrêter là et je pense reprendre des études après. 

NB : Quel est votre intitulé de poste exact, et depuis quand avez-vous commencé ?

AL : Il y a une divergence entre mes activités et le nom de mon contrat. L’objet de ma mission, c’est la transmission d’informations sur le Plan de relance économique lancé par le gouvernement en 2020. Ce plan a également un volet agricole, et mon rôle à la Chambre d’Agriculture du Calvados est de favoriser l’accès aux informations à tous les acteurs. J’ai commencé il y a un mois.

FH : De mon côté, j’ai commencé mon service civique depuis presque 2 mois. Son intitulé est de “contribuer à une bonne synergie entre expérimentations au sein du laboratoire, et avec les formations Campus de la Transition”. Globalement, le Campus c’est une association avec un collectif de vie, une trentaine de personnes, mais qui fédère beaucoup plus de personnes autour. C’est un lieu de vie, un laboratoire de recherche sur la transition. Leur modèle économique se base sur l’accueil de personnes et la formation sur la transition. Je m’implique dans les différents projets de recherche-action.

Mobiliser son expérience d’ingénieur dans un milieu différent

“Je fais un travail qui pourrait ressembler à celui d’un consultant, d’un coordinateur. Ça fait pas mal appel à de la gestion de projet, de la relation fournisseurs, qu’on peut être rapidement amené à faire avec un poste d’ingénieur.”

NB : Est-ce que le fait d’être ingénieur fait une différence pour votre service civique ?

FH : Je dirais plutôt “oui”, car même si mes activités ne sont pas toujours extrêmement techniques, je fais un travail qui pourrait ressembler à celui d’un consultant, d’un coordinateur. Ça fait pas mal appel à de la gestion de projet, de la relation fournisseurs, des choses qu’on peut être rapidement amené à faire dans un poste d’ingénieur, avec une partie un peu technique aussi.
En fait, mes missions sont très variées : d’une part, je fais un peu de coordination au laboratoire de recherche-action : j’anime les réunions, je rédige les compte-rendus… ; d’une autre, j’accompagne deux projets de recherche-action. L’un appelé “Maîtrise Carbone Campus”, qui consiste à mesurer et calculer le bilan carbone des activités de l’association. L’autre porte sur la mise en place de la démarche Low-Tech au sein du collectif. 

Par exemple, j’ai eu récemment l’occasion de travailler sur une étude technique pour la mise en place de douches solaires au campus, en prenant en compte toutes les problématiques financières, la Covid, le fait qu’on est pas ERP[4] et donc qu’il faut accueillir les gens dehors… J’ai écrit un rapport technique qui s’apparente à de la maîtrise d’ouvrage, je suis allé voir sur le terrain, j’ai regardé l’orientation des bâtiments par rapport à l’ensoleillement, les possibilités exploitables pour réaliser l’évacuation d’eau dans de bonnes conditions, réfléchi à la question de prendre un système de chauffage solaire ou pas… Cette étude a été discutée, et a permis de prendre des décisions en conscience (et le choix d’un système de chauffage solaire a été retenu !). Je ne suis pas dans le dimensionnement des douches, de la plomberie, mais je me suis senti comme un équivalent de “maître d’œuvre technico-commercial”. Les compétences d’ingénieur étaient bien utiles pour ça. J’espère qu’il y aura d’autres sujets de ce genre-là. 

AL : Par rapport au fait d’être ingénieure, je ne sais pas. C’est un peu l’ambiguïté : le service civique est censé être accessible à tout le monde, sans diplôme minimum, mais dans les faits c’est différent, il y a parfois une sélection sur les compétences, pour faciliter l’intégration dans le milieu. Après, ce qu’on attend de moi ce n’est pas tellement mon côté ingénieure, mais plutôt ma formation en sciences sociales. Mais grâce à mon bagage agronome, je peux comprendre les enjeux : les acteurs, les problèmes, les outils, les limites environnementales, les plans et programmes nationaux existants. Ma formation d’ingénieure agronome et des systèmes humains me sert finalement assez. Au quotidien, c’est plus mes compétences de recherche d’information et de synthèse qui me sont utiles. Ma structure attend aussi que je me débrouille bien avec certains logiciels, de base de données par exemple. 

Prochainement, je vais pouvoir participer à la réalisation d’un Bilan Carbone. Le gouvernement essaie d’encourager les exploitations agricoles à en réaliser, pour comptabiliser les émissions et le potentiel de stockage de carbone des exploitations et territoires. Le but est d’encourager le changement vers des pratiques culturales qui diminuent les gaz à effet de serre, et augmentent le stock de carbone dans les sols. Je vais pouvoir aider à la mise en place d’un diagnostic carbone, voir comment ça fonctionne concrètement. Pour l’instant, je suis plus en appui et en découverte que parfaitement autonome mais ça vient déjà sur quelques sujets, ce qui d’ailleurs n’est pas forcément le but du service civique. Je pense que l’intérêt d’être ingénieure dans ce cadre est d’être vraiment capable de comprendre son environnement et les enjeux.

FH : Ce que dit Adélaïde, ça me rappelle qu’au-delà de l’aspect purement technique, on développe quand même dans une majorité de nos formations plein d’autres compétences humaines et sociales. Je pense que c’est un des volets de l’ingénieur qui est intéressant et utile partout. En service civique, on n’est pas forcément indispensable, mais on peut être proactif et autonome. Aujourd’hui ces compétences me sont très utiles. 

Apporter de nouvelles dynamiques aux structures 

“Je pense que l’apport que j’ai, c’est d’avoir un regard extérieur, de comprendre les enjeux, mais avec une autre approche.”

NB : Est-ce que votre mission vous donne la possibilité d’impulser des changements dans le système ?

AL : Je ne saurais pas le dire à ce stade. Je commence à réévaluer notre capacité réelle à changer les choses dans la société. Je pense que l’apport que je vais pouvoir avoir, d’après les retours que j’en ai pour le moment, c’est d’avoir un regard extérieur, de pouvoir comprendre les enjeux, mais avec une autre approche. Ça permet de donner des clés à mes collègues pour avoir une approche différente des problèmes, penser à d’autres solutions, outils et concepts. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles ils travaillent depuis des années et qui ont du mal à avancer sans qu’ils comprennent trop pourquoi. Il y a plein de technologies ou pratiques qui pourraient apporter des solutions mais qui ne sont pas adoptées par les agriculteurs. 

Je peux peut-être leur amener quelques clés de réflexion et de travail collectif par les sciences sociales, sur cette résistance au changement, par exemple par ce qu’on appelle la dépendance au sentier. Un bon exemple souvent cité en sciences sociales est le clavier “qwerty” dont la disposition des touches était initialement prévue pour que les machines à écrire ne s’enrayent pas. Après le développement de l’informatique, de nouveaux claviers ont été créés pour permettre d’écrire beaucoup plus vite, mais on n’a pas réussi à faire la transition parce que les gens n’ont pas réussi à se séparer des anciens claviers. 

Je travaille par exemple sur le bien être animal, qui est un sujet sensible. Certains éleveurs se sentent agressés par la société, par des dénonciations qui sont certes justifiées, mais qui ne correspondent pas forcément à des pratiques généralisées. Il y a des blocages psychologiques, liés à une identification au métier et à la profession qui empêchent de s’ouvrir au dialogue, et on se retranche des deux côtés dans des positions fortes. Je réfléchis à des moyens de discuter ensemble sur ce sujet, de co-construire, en s’inspirant des démarches de recherche-action et de développement local. Peut être que ça peut aider à changer certaines choses, mais je reste réaliste, la chambre d’agriculture dépend des financements de l’État. C’est un système très sectoriel, hiérarchisé, qui reste assez bloqué, et qui ne va pas faire de transformations trop radicales dans sa façon de fonctionner malgré les volontés individuelles.

FH : Mon organisation est déjà très alignée avec la volonté d’être en transition, c’est la fibre du projet. Chacun a cette volonté d’expérimenter la transition et de la vivre quitte à faire des compromis sur le confort quotidien, de sortir de sa zone de confort. Je n’ai pas grand chose à apporter à ce niveau là à ma structure, et c’est très agréable. Pour ce qui est du pouvoir d’action pour changer le système de manière un peu plus générale ; je pense que j’en ai. Par exemple, sur le bilan carbone, je travaille avec des éco-lieux, des oasis, des lieux d’accueil : on travaille ensemble sur le bilan carbone pour réduire leurs émissions. Je travaille aussi avec des bureaux d’études comme Carbone 4. L’objectif c’est de faire de la recherche-action, et de la documenter, pour alimenter nos formations, et proposer quelques publications accessibles au plus grand public. On teste des solutions pour réduire notre impact et on mesure les résultats de manière chiffrée, pour documenter notre démarche et ainsi inspirer les autres. Après, on doit tenir compte des financements qu’on a pour déterminer ce qu’on peut partager. On a envie d’être en open source mais on a aussi besoin de financements pour que le projet puisse tenir, donc on est toujours sur le fil pour arbitrer entre ce qu’on donne, et ce qu’on “vend” ou qu’on échange. Le but du Campus de la Transition est d’influencer la formation professionnelle et académique. On diffuse les enseignements qu’on a eus notamment en publiant des articles sur le site. On organise aussi en octobre une conférence adressée à des professionnels et des éco-lieux, et au grand public, pour présenter quelles sont les actions de transition qui marchent. Je pense que l’inspiration qu’on donne au travers de cette communication est importante, elle permet de toucher des publics locaux et de transmettre ces enseignements dans la formation. On a déjà plein de personnes assez renommées qui participent à la formation, comme Gaël Giraud. En 8 mois je sais que je ne vais pas révolutionner le monde, mais le travail que je fourni va permettre de diffuser une inspiration. J’espère que ça va dans le sens d’une transformation du système.

L’importance de bien choisir sa structure

“Un service civique n’est pas censé faire le travail des autres salariés. On doit apporter un plus mais pas faire quelque chose d’indispensable pour la structure. Toutes les structures ne sont pas regardantes, et certaines ont tendance à considérer les services civiques comme des salariés à bas coût ou comme des stagiaires.”

NB : Et est-ce qu’inversement vous y voyez des freins, pour vos missions ou par rapport aux conditions du service civique ?

AL : Sur l’aspect service civique, c’est clair que ça reste quelque chose de temporaire, on ne cherche pas non plus une stabilité sur le long terme. La compensation financière étant basse, c’est impossible d’en vivre. Je suis tombée sur des témoignages d’ingénieurs qui décrivaient que ce n’était pas très bien valorisé au niveau professionnel, ou en termes de cotisation sociale et de chômage. Ca peut faire un espèce de blanc dans le parcours, qui en effraie certains. Je ne sais pas à quel point ça va être reconnu sur le CV, et si ça va vraiment permettre de se (ré)intégrer dans un parcours professionnel ou universitaire, ce qui est normalement l’objectif. 

Il faut faire attention à où on le fait et avec qui. Il y en a qui sont beaucoup moins intéressants au niveau développement de compétences, qui nous offrent plus ou moins de marge de manœuvre pour se tester et s’accomplir. Un service civique n’est pas censé faire le travail des autres salariés. On doit apporter un plus mais pas faire quelque chose d’indispensable pour la structure. Toutes les structures ne sont pas regardantes, et certaines ont tendance à considérer les services civiques comme des salariés à bas coût ou comme des stagiaires. Notamment par manque de connaissances sur la nature du service civique, pas forcément par calcul. Il faut faire attention, et vraiment lire la description, ça peut être un piège. C’est aussi un statut qui n’est pas facilement reconnu dans les démarches administratives, on rentre difficilement dans les cases. Pour changer les choses, on est beaucoup moins décideurs et acteurs, on a beaucoup moins de pouvoir que si on était salariés ou cadres dans une structure. Mais en tant que cadre on peut être aussi vachement soumis à une structure et à une hiérarchie, à des obligations de résultats. En service civique, on peut être force de proposition, mais pas dire comment faire, vraiment juste faire des suggestions, proposer des idées, accompagner leur mise en œuvre… 

FH : Ce que je dirais c’est que c’est une pause, ça permet de prendre le temps de réfléchir, de découvrir des choses. Même si on pense qu’il va nous permettre de changer le système, ce ne sera que pour un temps limité. Les activités qu’on a ne sont pas forcément possible à faire en poste de salarié. C’est souvent associé à l’ESS[5], humanitaire, culture… C’est des secteurs très intéressants mais qui sont peu financés, et où on pourra peut-être faire évoluer les choses, mais pas de manière pérenne. Si moi j’ai envie de bosser au Campus, peut-être que ce sera possible, mais faudra vraiment que je bataille pour trouver des financement, qui ne sont pas très présents.

Un engagement transitoire qu’il faut construire

“Dans mon service civique, il y a l’accord tacite que je fais quelque chose qui me plaît, que je peux travailler sur un sujet qui m’intéresse et sur plein de projets différents.”

NB : Pour conclure, quels conseils donneriez-vous aux ingénieur·es qui seraient intéressé·es par un service civique ?

AL : Je pense qu’il faut vraiment faire attention à où est-ce qu’on va. Il faut être certain qu’on puisse mettre en pratique certaines de nos connaissances et en développer d’autres, y compris de toutes nouvelles. Il faut potentiellement en profiter pour continuer à chercher un emploi ou un stage, ou ses futures études en parallèle (sauf s’il s’agit d’une césure). C’est très intéressant pour avoir une phase de recul, pour rester dans son domaine ou avoir un aperçu d’un domaine complètement différent, ça donne une belle opportunité. Il faut prendre le temps de chercher quelque chose qui convienne bien et une structure qui offre ce qu’on cherche. Il ne faut pas hésiter à bien clarifier cela en amont avec le tuteur, avec qui le courant doit bien passer, et la vision du service civique être convergente. Il faut bien négocier sur ce qu’on attend de l’autre, il faut vraiment qu’on s’y retrouve, humainement aussi. Ça peut vraiment être l’occasion de faire un truc totalement différent, idéal pour une année de césure. Mais en tant qu’opportunité post-diplôme, il faut faire plus attention où on va.

FH : Je suis complètement d’accord. Il faut bien séparer l’intérêt professionnel et personnel. L’intérêt professionnel reste généralement limité (même s’il existe bien sûr des cas particuliers). En dehors de ça, il faut plutôt le voir comme une super opportunité sur un aspect perso. Je ne pense pas qu’il faille vraiment se poser de questions sur la perception sociale, la ligne sur le CV, etc. Ca me semble plus important d’être content de ce qu’on fait, d’être aligné avec nous même, de vivre une expérience à part. Pour l’aspect professionnel, ce qui est important c’est la manière dont on présente notre chemin. Prendre plusieurs mois pour découvrir quelque chose de différent, ça apporte beaucoup quand on est en recherche de sens. Ça permet de faire un break avec la théorie, creuser sa curiosité, se reconnecter à la terre ou à des activités manuelles. C’est vraiment intéressant, personnellement et professionnellement.

AL : Je suis bien d’accord avec ça. Ça peut être une très belle expérience, mais il faut être certain de ce qu’on cherche. On peut aller sauver des tortues, travailler dans un écovillage, ça peut aussi ne rien avoir à voir avec notre formation. Par contre si on veut valoriser ça comme une montée en compétence, où s’il y a vraiment le besoin de développer une expérience valorisable comme professionnelle, il faut être vigilant. Ce qui compte, c’est de vraiment trouver quelque chose qui convienne à nos aspirations personnelles. 

Pour moi, l’idée c’était de commencer dans une structure avec moins de pression, de charge mentale, et plus de place pour faire des choses qui me plaisent que ce que j’aurais pu faire en tant que salariée. Dans mon service civique, il y a l’accord tacite que je fais quelque chose qui me plaît, que je peux travailler sur un sujet qui m’intéresse et sur plein de projets différents. J’ai aussi négocié le fait de ne travailler que 4 jours par semaine, et d’avoir une bonne souplesse au niveau du télétravail et des horaires. Ça me libère du temps, et me permet de faire plein de choses en parallèle. Personnellement, travailler 5 jours par semaine pour être épuisée le weekend, ça ne me convient pas. Comme je n’ai pas d’obligations de résultats, il y a plus de confiance et d’autonomisation, de créativité.

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Propos recueillis et retranscrits par Nicolas B, pour le projet Livre d’Ingénieur·es Engagé·es

Merci à Adélaïde et Florent pour leurs réponses, et merci aux relecteur·ices attentif·ves du projet Livre.

Notes

[1] Il est possible de débuter un service civique jusqu’à la veille de ses 26 ans, ou de ses 30 ans pour les personnes en situation de handicap
[2] Semaine des Alternatives et des Low-Tech, voir ici https://ingenieurs-engages.org/2020/12/salt2020/
[3] Biologie, Chimie, Physique et Sciences de la Terre
[4] Établissement Recevant du Public, soumis à certaines réglementations particulières notamment dans l’aménagement des locaux
[5] Économie Sociale et Solidaire

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