Du déclic à l’action, Ou comment devenir conscient de la nécessité d’agir pour le bien commun

Auteur : RobinM

Ça a commencé avec des questions sur l’énergie. Je me souviens très précisément de mon premier déclic : une journée sur les énergies renouvelables en CM2. Introduction aux différentes sources d’énergies et à la production, à l’utilisation, au gaspillage. Cette journée a constituée le démarrage de la chasse aux gaspi pour moi à la maison, énergie et eau. Je passais derrière tout le monde pour couper les robinets et éteindre les interrupteurs, débrancher les prises etc.

Je pense que c’est ensuite resté sous-jacent très longtemps. J’étais un peu « le chiant » qui passe derrière pour éteindre. Je me souviens également d’un jour où nous avons reçu un livret dans un supermarché « le petit livre vert pour la Terre ». Ça devait venir de la fondation Nicolas Hulot. Un livret qui m’a ouvert sur plus de thématiques que les gaspillages énergétiques, comme les déchets. J’ai donc commencé à harceler chez moi pour que le tri soit bien fait, pour que l’on commence un compost, etc. A part ça, je n’avais pas plus de prise de conscience sur mes comportements. Trier c’est suffisant pour être éco-citoyen, c’est déjà pas forcément évident de se rappeler de toutes les règles… Mais un changement de consommation n’est même pas évoqué. C’est aussi mes années collège et lycées, impossible d’avoir une réputation d’écolo… J’avais déjà assimilé quelque part qu’il fallait cacher le fait d’avoir un comportement plus responsable. « Rabat joie », « c’est pas toi qui paye tu t’en fous », c’est pas ça qui va changer le monde », des réflexions que j’ai souvent entendues.

Bon élève et pas mauvais en sciences, donc c’est filière S sans réflexion car « ça ouvre toutes les portes ». La chimie m’intéresse, la voie toute tracée est une école d’ingénieur avec prépa intégrée. Passage en études supérieures, toujours sans remise en question. Mais toujours une petite voix un peu insatisfaite, un peu triste en voyant des montagnes de poubelles après une soirée, en voyant tous les gaspillages du quotidien. Heureusement vite étouffée, bâillonnée. Après tout c’est comme ça. Je ne peux rien faire tout seul. C’est qu’une seule fois. C’est pas bien grave. Toujours difficile d’aborder le sujet entre amis, surtout que ma pensée ne vas pas encore très loin. Les déchets, le tri, l’électricité, l’eau et ça s’arrête là. Le sujet n’est pas assez sérieux, ou plutôt pas assez fêtard. On est en prépa ou en école, on galère suffisamment en cours pour ne pas vouloir en plus réfléchir en dehors lors des soirées.

Ce n’est que lors de mon année de césure en Allemagne que les choses changent. Il n’y a pas d’instant exact où j’ai commencé à me poser plus de questions. C’est venu petit à petit. Tiens, les allemands ont un système de consigne pour le verre, le plastique, le métal. Ah mais en fait c’est génial, les rues sont propres, les poubelles moins remplies, les contenants ont une seconde vie. Pourquoi ça n’existe pas en France ? J’avais une colocataire végétarienne, qui me paraissait un peu étrange. « Elle mange que des graines ». Cette phrase que je disais en rigolant, sans savoir que je remettrai moi-même assez vite toute mon alimentation en question. En Allemagne je travaille dans un laboratoire de recherche pharmaceutique. Devant la montagne de solvants consommés, les règles de non rejet à l’évier pas forcément respectées, le gaspillage de produits quasi-quotidien, il est évident que j’ai commencé à me poser plus de questions. J’élargis également mes préoccupations à d’autres sujets aux antipodes de mes préoccupations habituelles. Mon tuteur est Yéménite et s’inquiète tous les jours pour sa famille restée au Yemen pendant le déclenchement de la guerre. Je réalise horrifié les liens existants entre les ventes d’armes de la France, les guerres dont on parle tellement peu dans nos médias, et les réfugiés. Cet épisode me fait reconsidérer énormément la chance que nous pouvons avoir, le niveau de sécurité, de confort, de bien-être sans nous en rendre compte, sans en être reconnaissant.

Je retourne bientôt à l’école pour ma 5 e année. Je décide alors de choisir la majeure « Environnement ». Difficile de savoir ce qui m’a fait basculer, alors que j’avais initialement choisi cette école pour une autre majeure proposée (formulation, qui me paraît maintenant tellement négligeable, tellement vide de sens). Pourtant c’est décidé, je vais orienter ma vie professionnelle pour agir concrètement au développement durable, à la transition écologique, des mots que je découvre rapidement en 3 e et 4 e années et qui finalement résonnent en moi. Comme un nouveau souffle, une réalisation, un besoin d’agir « pour le bien ». J’ai compris plus tard que ces mots sont en fait totalement creux et ne font que déculpabiliser un modèle de croissance qui ne changera pas réellement.

A la rentrée, soulagement d’abord de découvrir que nous sommes quand même une vingtaine à réfléchir un peu « en dehors ». Enfin, nous parlons de ce qui me paraît être nos vrais problèmes, nos vrais enjeux. Perturbateurs endocriniens, pollutions de l’air, de l’eau, des sols et comment y faire face, gestion des risques. Questionnement ensuite : c’est bien tout ça, mais on ne fait que traiter les conséquences d’un problèmes. On n’intervient pas pour régler la cause première de la pollution. A quoi sert de suivre des normes Iso, des référentiels très lourds, de mettre en place des installations de traitement de plus en plus perfectionnées ? Le plus simple serait d’agir en premier lieu sur la cause de tout ça non ? Pour éviter d’avoir à dépolluer ensuite. « On pollue, vous nettoyez ». Cette phrase je l’ai entendue plusieurs fois dans l’année, surtout de personnes de la majeure « Procédés » (ceux qui construisent les grosses usines de produits chimiques pour faire simple). Le ton est posé.

Finalement, une dernière phase est arrivée, bien plus violente, bien plus insoupçonnée. Je ne l’avais vraiment pas anticipée : la soudaine réalisation que notre société entière construisait son propre suicide. Une rage mêlée d’une profonde tristesse m’a envahie pendant des semaines. Je n’en suis pas tout à fait remis plus de 4 ans après et j’en ai la gorge serrée en l’écrivant. Je me souviens très bien avoir fondu en larmes devant ma copine, tout simplement en voyant une nouvelle fois les poubelles de l’école pleines à craquer de gobelets de café, et en réalisant que le quotidien, c’était des tonnes de déchets qui allait finir enfouies ou brûlées pour rien. L’absurdité de la chose m’est alors apparue d’un seul coup. C’est probablement un des moments où je me suis senti le plus désemparé et le plus perdu de ma vie. Je ne la remercierais jamais assez pour son support, son écoute, sa force pour rebâtir mon moral en dent de scie depuis ce moment. Finalement, sans connaître la collapsologie à cet instant, j’aurai vécu un premier effondrement, psychologique. Avec le recul, je remarque que je suis passé par toutes les étapes d’un deuil, comme la perte de la confiance dans notre société, la perte de l’insouciance. Comme l’impression de m’enlever un bandeau et de regarder autour de moi pour la première fois, ou de sortir la tête de l’eau et de réaliser avec effroi où je me trouve en reprenant ma respiration.

source : Collapsologie et courbe du deuil, Matthieu Vaniel, www.presages.fr

A partir de là, il est devenu impossible pour moi de ne pas y penser . Chaque jour, avec plus ou moins de force, pour chaque choix, la question de l’impact que j’ai sur la planète est bien présent. Au début c’est très lourd, puis petit à petit, ça devient simplement devenu un réflexe, une nouvelle façon de penser, de voir les choses.

La bonne nouvelle c’est qu’on peut s’en remettre, et y puiser une nouvelle énergie. A force d’articles, de cours, de confrontation de points de vus, de débats, ma pensée a pu commencer à se structurer, et se faisant, à demander plus de matière. Je pense que c’est à ce moment que je suis devenu « boulimique d’informations ». Un besoin insatiable d’en savoir plus sur tous ces sujets, de comprendre l’articulation, les liens entres enjeux. Une envie d’avoir les clés, de trouver un moyen d’action qui ait du sens. Moi qui ai toujours aimé lire, je suis devenu malade de lecture et de vidéos pour accumuler autant d’informations que possible, en élargissant les sujets. De la science à la sociologie, des techniques à la politique, tout m’intéressait et je commençais à visualiser les connexions.

A ce moment j’avais déniché un projet de fin d’études dans un service HSE. Qui m’a confirmé exactement mes questionnements précédents. L’environnement tel qu’on me l’avait appris et tel qu’il était vraiment appliqué en entreprise servait à faire « moins pire » mais pas « mieux ». Un sujet au mieux réglementaire donc appliqué au minimum, au pire totalement accessoire et non stratégique. L’hypocrisie du “développement durable” m’est clairement apparue. C’est aussi pendant cette période que j’ai commencé à vouloir m’appliquer de profonds changement d’habitudes, dans une optique plus responsable et alignée avec cette nouvelle prise de conscience. Du jour au lendemain ou presque, j’ai donc cherché à passer d’un mode de vie « conventionnel » à un mode de vie Zéro déchet, en achetant local, de saison, en vrac, et avec beaucoup moins de viande et poisson. Je dois avouer être revenu en arrière sur beaucoup de choses, en choisissant mes combats et en me fixant des étapes plus progressives. Un changement durable et satisfaisant doit se faire progressivement. Je pense qu’il est très difficile, en quelques mois, se rendre compte d’un probable effondrement et vouloir tout changer dans sa vie pour l’éviter, sans en ressentir une immense frustration et revenir rapidement en arrière. Mieux vaut prendre plus de temps mais comprendre pourquoi on le fait, et introduire des changements durables parce que l’on en est profondément convaincu. Heureusement, mes recherches perso m’ont orienté à ce moment vers le concept d’économie circulaire. Concept qui me paraissait vraiment beaucoup plus global, plus systémique, puisqu’il s’intéressait à l’ensemble de la vie d’un produit, de sa conception à sa fin de vie. J’ai donc postulé à un mastère spécialisé pour renforcer mes compétences naissantes en environnement. Au programme : écologie industrielle, ACV, éco-conception, énergie (programme NegaWatt, méthanisation,…), mais aussi accompagnement au changement par exemple.

A nouveau, c’est une remise en question de mes études d’écoles d’ingénieur. Je renforce ma compréhension de la pensée cycle de vie, pour déconstruire des mythes du quotidien sur ce qui est écologique ou non (comme le papier vs la dématérialisation). Je garde de ce mastère une habitude beaucoup plus automatique pour essayer de considérer un produit selon toutes ses coutures et non un seul prisme. J’ai acquis un esprit critique beaucoup plus affûté… voir cynique, à toujours pouvoir identifier le problème dans une solution présentée comme plus vertueuse !

Dans le même temps, je rentre en alternance dans le service DD de Decathlon. Et j’ai été très agréablement surpris de ce que j’ai pu y observer ! Dans un groupe de 80 mille salariés, des moyens étaient véritablement mis au service d’une orientation plus durable et responsable. J’ai découvert une entreprise qui, au lieu de simplement appliquer le minimum réglementaire, utilisait ces contraintes environnementales comme un moyen d’innovation. Eco-conception, énergie, production, approvisionnement responsable, formation des équipes, fin de vie des produits… énormément de thématiques sont abordées (même la biodiversité, dont tout le monde se fout!), portées à tous les niveaux de l’entreprise, dans tous les pays. J’ai pu rester chez Decathlon 2 ans et avoir l’impression de vraiment contribuer à quelque chose. J’ai rencontré beaucoup de personnes captivantes, avec des visions différentes, opposées, décalées, qui me permettaient en tout cas d’enrichir mon esprit critique. J’ai découvert pendant cette période le concept de collapsologie, qui mettait enfin un mot ou une définition sur ce que je ressentais au fond de moi. Un mélange de soulagement et de peur, de satisfaction que cette pensée se développe, et de tristesse que ça la rende bien réelle.

Actuellement, je travaille comme conseiller économie circulaire auprès des entreprises artisanales. Je crois beaucoup dans le soutien aux petites entreprises, qui portent finalement pour la plupart dans leur ADN des notions de sobriété, d’approvisionnement locaux, de réduction des déchets. En fait, c’est simplement rester à taille humaine… Ce qui a toujours été fait avant qu’on décide de passer sur des échelles industrielles nocives et déconnectées de la réalité.

Paradoxalement, parler d’économie circulaire devient compliqué pour moi, car j’ai réalisé qu’il reste illusoire de vouloir appliquer cette “méthode” sans tout remettre en question. J’essaye donc également de sensibiliser autour de moi au besoin d’une prise de recul beaucoup plus systémique (low tech, salaire universel, retour des communs,…) que ce soit par la Fresque du Climat, par des engagements citoyens ou par des cours que j’ai eu l’occasion de donner en école supérieure. C’est aussi pour ça que je travaille sur un projet de collecte à vélo des biodéchets pour valorisation en lombricompost, qui me semble vraiment pertinent et en adéquation avec toutes les valeurs que je cherche à défendre. Ca existe déjà dans beaucoup d’endroits et j’ai l’impression que la période est favorable à ce genre d’idées. Il faut un peu forcer, mais ça fait son chemin. Ceux qui verrouillent la société pour la garder à l’identique ne vont pas pouvoir tenir indéfiniment. Plus nous serons, plus les alternatives prouveront qu’un mode de vie différent est possible, plus nous pourrons ringardiser le consumérisme et tout ce qui va avec.

Je ne suis toujours pas complètement en paix avec tout ça, le moral fluctue au gré des actualités, mais je le maintiens en cherchant le sens dans les projets que je porte, en m’orientant vers des lectures positives, qui font du bien (je viens de finir La sagesse des loups par exemple) ou en prouvant, à moi-même comme aux autres, que vivre différemment, plus lentement, c’est non seulement possible mais surtout désirable.

Phases de construction de la pensée écosystémique
1) déni simple et complet de la situation (par méconnaissance ou ignorance choisie)
2) ok il y a un problème majeur à régler
3) Nan bon il y a plusieurs problèmes liés, il suffit de prioriser
4) Merde. Tout est lié
5) Pulvérisation de l’imaginaire tel qu’on l’a acquis depuis qu’on est né
6) Premiers renoncements pour défendre des valeurs
7) Recherche de sens, et choix de ses “combats”

Cette œuvre (texte et illustration) est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.